"SEULE UNE TAXE CARBONE GENERALISEE PEUT SAUVER LE CLIMAT"

Voici un entretien, publié récemment par TACA,  à James Hansen, climatologue réputé et figure publique aux Etats-Unis, et premier scientifique qui a fait publique 350 ppm come le taux maximale de CO2 que l’atmosphère devrait contenir pour éviter les impacts du réchauffement globale. Ce chiffre, comme vous le savez bien, est l’objective de ce mouvement auquel il faut viser tous nos efforts.

James Hansen fait appelle à la communauté internationale à adopter une tout autre stratégie contre le changement climatique: abandonnons les marchés de quotas de CO2 et créons une taxe carbone généralisée, explique-t-il dans cet entretien avec Mediapart.

Directeur de l'institut Goddard d'études spatiales de la NASA, James Hansen est considéré comme un grand climatologue américain. A partir de la fin des années 1980, il joua un rôle majeur dans la prise de conscience — progressive, trop lente à ses yeux — de l'élite politique et économique aux Etats-Unis quant aux dangers du changement climatique. Fin 2009, il provoque un scandale en déclarant souhaiter l'échec du sommet de l'ONU sur le climat de Copenhague. A ses yeux, les bases de la négociation actuelle sont trop mauvaises, dessinant un système trop inefficace. Il est aujourd'hui un fervent avocat de l'instauration d'une taxe carbone aux Etats-Unis, et ailleurs dans le monde.

L'année dernière, vous aviez publiquement espéré que la conférence de Copenhague sur le climat soit un échec. Selon vous, la négociation était engagée sur une trop mauvaise voie. Maintenant qu'elle a échoué, la situation s'est-elle améliorée ?

Ca dépend. Pour faire progresser l'accord international, il faut donner un prix au carbone, et donc instaurer une taxe carbone généralisée. Le mécanisme de marche des quotas d'émissions («cap and trade»), qui correspond à l'approche du protocole de Kyoto, ne pourra jamais exister au niveau mondial. Je ne crois pas que l'Inde et la Chine accepteront de limiter leur développement économique. Par contre, il y a de très bonnes raisons de croire qu'ils pourraient accepter un prix du carbone. Ils investissent dans l'énergie solaire, éolienne, nucléaire. Ils pourraient réussir à se sortir des énergies fossiles pour passer aux renouvelables. En réalité, ils doivent le faire s'ils veulent nettoyer leur atmosphère et les eaux qui sont gravement polluées. Et s'ils veulent éviter les effets du changement climatique qui vont les affecter plus que l'Europe et les Etats-Unis. Ils sont donc ouverts à cette approche.

Pourquoi selon vous seraient-ils plus ouverts à une taxation qu'au marché du carbone ?

La Chine peut avoir intérêt à taxer son carbone. Le reste du monde va avoir besoin de sources d'énergies propres. Les Chinois investissent dans ces secteurs et vont pouvoir vendre beaucoup d'éoliennes et de panneaux photovoltaïques. Aujourd'hui, leurs produits sont moins chers que ceux des Occidentaux. Ils sont donc en position de leur en vendre. Ils en écouleront d'autant plus qu'il existe une taxe carbone générale.

Ils investissent dans les énergies propres.Mais tant que les carburants fossiles seront l'énergie la moins chère, les gens continueront de les utiliser. Y compris en Chine. Donc pour qu'ils réduisent leur usage des carburants fossiles, il faut que les prix montent. Le problème, c'est que le prix des carburants fossiles ne reflète pas les dommages qu'ils causent a la société: leurs effets sur la santé humaine, l'environnement, le futur des jeunes générations. Le gouvernement chinois est très rationnel. Il comprend que la Chine va beaucoup souffrir du changement climatique. Ils ont 300 millions d'habitants qui vivent très près du niveau de la mer. Ils ne veulent donc pas que la calotte glaciaire se déstabilise. C'est plus facile de faire comprendre cela à la Chine qu'aux Etats-Unis.

En Europe, les autorités politiques ont échoué à créer une taxe carbone, ce qui a conduit par défaut a la création du marché du CO2. Ne craignez-vous pas de défendre une option économiquement et diplomatiquement efficace, mais politiquement irréaliste ?

C'est un problème de communication. Il faut taxer les compagnies pétrolières à la source, par une taxation sur le pétrole, le gaz et le charbon, et redistribuer ces recettes au public, soit par un cheque vert mensuel, soit par le biais de la réduction d'autres impôts. Mais il faut que ce soit transparent et qu'il soit clair pour tout le monde que l'argent collecté revient au public. Il faut l'expliquer pour que les gens comprennent, et ne croient pas que le gouvernement fait porter tout l'effort sur eux. La communication sur ce sujet n'a pas été aussi bonne qu'elle aurait du l'être.

C'est ce que le gouvernement français a voulu faire, avant de renoncer, après la censure du Conseil constitutionnel. L'opposition a la reforme était trop forte.

Les gouvernements doivent mieux communiquer. Mais ce sera plus facile si la taxe carbone fait l'objet d'un accord international. Il sera plus clair que c'est aux bénéfices des plus jeunes, des futures générations et des espèces de la planète. Si la France est la seule à le faire, ca n'apporte pas grand-chose. Elle ne représente qu'une toute petite part des émissions globales. Un accord mondial ferait une grosse différence.

En plus du marché de quotas d'émissions de CO2, le protocole de Kyoto a aussi mis en place un système de compensations : l'entreprise d'un pays industrialisé peut réduire ses émissions de gaz à effet de serre dans un pays en voie de développement en y investissant dans les énergies propres. Vous êtes très critique de ces compensations que vous comparez à des indulgences. Pourquoi ?

Prise une à une, la plupart de ces compensations sont en fait inefficaces. On sait combien de carbone il y a dans le pétrole, le gaz et le charbon. On sait qu'on ne peut pas tout émettre dans l'atmosphère. On va devoir laisser la plupart du charbon dans le sol. C'est absurde de vouloir partir à la recherche de la moindre goutte de pétrole pour la consommer, parce que si on le fait, il faudra ensuite trouver le moyen de l'extirper de l'atmosphère. Les projets de compensation concernent souvent les forêts. Mais ca ne résout pas le problème des carburants fossiles. La demande de bois ne diminue pas. La demande de terre pour cultiver de la nourriture ne fléchit pas. Si vous préservez une forêt, la coupe du bois se fera ailleurs. A moins que vous ne parveniez à contrôler toutes les forêts de la planète, ca ne marchera pas. Donc, ces compensations ne sont pas seulement inefficaces: la plupart du temps, elles sont tout simplement imaginaires. Elles peuvent peut-être temporairement réduire les émissions, mais elles ne résolvent pas le problème principal: il faut laisser les carburants fossiles dans le sol.

L'autre problème, c'est qu'elles permettent aux pays riches d'échapper aux changements fondamentaux qui doivent être conduits. Les gens se sentent beaucoup mieux à l'idée qu'ils peuvent brûler du carbone et le compenser. Mais la réalité, c'est qu'ils ne peuvent pas vraiment le compenser. Par exemple, quand les gens font le tour du monde en avion, ils peuvent acheter des compensations, mais ca ne compense pas vraiment le carburant qu'ils ont consommé. Parce que le carburant est brûlé de toute façon, même si vous le ralentissez un peu. Une fois que le carbone est présent dans l'atmosphère ou dans l'océan, il y reste pendant des millénaires. Ca ne change absolument rien que vous le dépensiez cette année, ou l'année suivante. La seule chose à faire, c'est de ne pas le brûler! Planter des arbres ne résoudra pas le problème du climat. Si nous consommons tout le carbone qui se trouve dans les réserves de pétrole, de gaz et de charbon, nous allons plus que doubler la teneur en CO2 dans l'atmosphère. Cela renverrait la planète à l'époque où il n'y avait plus de glace (ice free, la mer était 70 mètres plus haute qu'aujourd'hui, note de traduction TACA).

La raison aussi pour laquelle ces compensations sont séduisantes, c'est que les pays en développement eux aussi y gagnent. Ils en attendent de l'argent. C'est comme les indulgences: les riches pouvaient continuer à pécher et l'église touchait l'argent. Tout le monde était content. Mais c'est un bénéfice financier a court terme pour les pays en développement.

Croyez-vous qu'une taxe carbone existera un jour aux Etats-Unis ?

Ce sera sans doute plus dûr aux Etats-Unis. Mais malheureusement, nous n'avons pas le choix, il faut le faire. Car aussi longtemps que les carburants fossiles seront les moins chers, nous continuerons à les brûler. C'est aussi évident que l'existence de la gravité terrestre. Aux Etats-Unis, nous avons cette dépendance aux carburants fossiles, qui est la source de bien des problèmes. Ce sont des centaines de milliards de dollars par an que nous versons a des pays étrangers qui les utilisent parfois d'une façon qui ne nous plait pas, comme le financement du terrorisme. Il y a des bénéfices au prix du carbone. Il faut que nous passions aux énergies propres dans le futur. Je crois que cela peut être expliqué au grand public. Mais il faut le faire de manière non partisane. Et aujourd'hui, le débat américain est tellement clive que c'est très difficile.

Pourquoi l'administration Obama a-t-elle écarté la taxe carbone ?

Je crois qu'ils n'étaient pas bien informés. Les principales ONG américaines défendent le marché des quotas de CO2 et le premier projet de loi sur le climat, adopté l'année dernière par la Chambre des représentants, qui ne permettra qu'une légère baisse des émissions. Il donne beaucoup d'argent aux industries fossiles, ce sont 200 pages pour servir les intérêts des uns et des autres. A ce stade, je crois que les grosses ONG sont devenues l'une des sources du problème: le National Ressources Défense Council (NRDC), l'Environnemental Défense Fund… Elles ont passé trop de temps à Washington. Elles touchent de l'argent du milieu des affaires.

Mais ce n'est pas qu'une question d'argent. L'Environnemental Défense Fund par exemple a joué un rôle déterminant dans l'élaboration du système du marché des quotas mis en place pour réduire les émissions de soufre (SO2) dans les années 1990. Ils considèrent que ca a bien marché. C'est vrai que les émissions ont été réduites, mais c'est un problème très différent car on a pu substituer un type de soufre avec un autre. C'est très différent du CO2. Car pour en réduire les émissions, il faut changer de mode de vie. Changer les modes de consommations et la vie des affaires au-delà des frontières. Il faut faire changer la société à une très grande échelle.

La marée noire qui touche les côtes américaines et la Louisiane peut-elle accélérer la prise de conscience de la nécessité de sortir des hydrocarbures ?

Les résistances aux forages sur les terrains publics, en offshore et en Alaska aident beaucoup. On se comporte comme des drogues du pétrole. Il faut en sortir. Je ne crois pas que les différentes versions actuelles du projet de loi sur le climat ont la moindre chance de passer. C'est bien, puisqu'elles n'apportent pas grand-chose. De mon côté, je travaille avec le Carbon Tax Center pour écrire un autre projet de loi qui donne un prix au carbone et le ferait augmenter chaque année pour atteindre au bout de 10 ans le niveau d'un dollar par gallon d'essence. Cela réduirait les émissions américaines de 30%.

 

De vraies réductions, pas de la compensation. Cela mettrait la tonne de CO2 à 115 dollars (93 euros). C'est beaucoup plus que les niveaux de taxe carbone dont on parle aujourd'hui un peu partout. Mais c'est le prix qu'il faut pour changer le mode de vie des gens.

Vous pouvez aussi voir aussi la proposition TACA de Contribution Climat Universelle, compatible avec ces déclarations de Jim Hansen.

FacebookTwitter