Par Deirdre Smith – traduction de l’anglais par Gaëtan Guyet
Il n’a pas été difficile pour moi de faire le lien entre la tragédie de Ferguson, dans le Missouri, et mon travail pour arrêter la crise climatique. C’est partout dans les journaux : des images de la police en tenues militaires, pointant des armes de guerre vers des personnes noires désarmées, les mains en l’air. Ces scènes ont serré mon cœur d’une façon beaucoup trop familière. J’ai été dévasté pour Mike Brown, sa famille et les gens de Ferguson. Presque immédiatement, j’ai fermé mes yeux et ressenti la même peur qui me tord le ventre quand je pense à ma famille.
Dans le sillage de la catastrophe climatique qu’a été le cyclone Katrina il y a dix ans, j’avais vu les mêmes images de police, pointer des armes de guerre vers des personnes noires, désarmées, les mains en l’air. Au nom du “retour à l’ordre”, ma famille et leur communauté ont été diabolisés, traités de “pillards” et qualifiés de “dangereux”. Quand la crise frappe, le racisme latent de nos sociétés remonte à la surface de façon très nette. Le changement climatique met au moins en lumière les crises persistantes et imbriquées de notre époque.
J’ai été outragé par le meurtre de Mike Brown, et je me suis en même temps demandé pourquoi les gens été si surpris : c’est malheureusement quelque chose d’assez commun quand on est noir aux Etats Unis. En 2012, une personne noire désarmée est tuée toutes les 28h en moyenne par les autorités, et le rythme a depuis augmenté. Je pense à mon frère, mon neveu, et à mes frères et sœurs qui devront continuer à se battre pour gagner du respect et de l’empathie, et qui continuent de risquer de perdre leur maison ou leur vie aux mains de l’injustice.
Pour moi, la connexion entre la violence d’état militarisée, le racisme, et le changement climatique était intuitive et faisait partie du sens commun. Comprendre rapidement l’interdépendance et la connexion de ces éléments, et d’autres, est en partie le fruit de mon expérience en tant que noir aux Etats Unis, ayant grandi au Nouveau Mexique, un Etat ravagé par le changement climatique. Le Nouveau Mexique montre, comme Oscar Olivera l’a relevé, les premiers signes de ce qui a fait éclaté la Guerre de l’Eau à Cochabamba, un autre exemple de mariage entre oppression et météo extrême donnant naissance à la violence militarisée. Les problèmes de Cochabamba et Katrina ne sont pas juste les ouragans ou la sécheresse. C’est ce qui vient après. C’est l’oubli institutionnel des communautés vulnérables lors de la crise, la criminalisation de notre peuple face à la violence d’Etat, le déplacement toujours en cours des résidents noirs de Nouvelle Orléans par la destruction des quartiers populaires au profit de maisons bourgeoises – tout cela aggravé par la rapacité des entreprises qui exploitent notre misère en se servant du racisme, de la division et de la déshumanisation (Naomi Klein appelle ça la Stratégie du Choc). Et c’est aussi à propos de ce qui se passe avant aussi : comment les communautés noires et métisses sont obligées de vivre à côté des raffineries, champs de sables bitumineux, puits de gaz dans leurs jardins pour extraire des énergies fossiles. Les divisions artificielles qui nous séparent nous empêchent de construire le mouvement dont nous avons besoin pour créer un nouveau futur à nous, un futur où nous pouvons avoir des énergies propres qui ne nous tuent pas, et qui créent des emplois qui nous apportent de la dignité et de quoi vivre. Dans le sillage de Katrina, les noirs et les métisses ont été pris pour des déchets jetables, et les pouvoirs en place ont voulu nous diviser une fois de plus en dépeignant les victimes et les héros en malfaiteurs.
Le Hashtag #iftheygunnedmydown (s’ils m’abattaient) a été saturé de messages en réaction au potrait que les médias ont dressé de Mike Brown et des innombrables autres victimes. Les noirs demandaient : si j’étais tué par la police, comment serais-je décrit ? Cela illustre bien comment le racisme et la culpabilisation des victimes dans la culture narrative sont centraux dans la manière dont les média répondent aux attaques sur une communauté vulnérable en tant de crise. Un discours qui déshumanise et blâme les victimes rend les communautés noire et les métisses encore plus vulnérables qu’elles ne le sont déjà face au changement climatique. S’il est question de sécheresses, d’inondations, de tempêtes et de feux de forets concernant les météo extrêmes, alors pour la manière dont les gens sont traités après une catastrophe, il est surtout question de pouvoir. La diabolisation et l’illusion de l'”Autre” permet à l’américain moyen d’éviter de se sentir concerné et affecté par le déploiement insupportable d’une violence militarisée et institutionnellement soutenue. Si nous voulons construire quelque chose ensemble et mettre en commun notre pouvoir, nous devons refuser que qui que ce soit soit qualifié d'”Autre” – déconstruire cette norme culturelle très persuasive n’est pas simple mais c’est un défi central.
Nous sommes tous impactés par le changement climatique, mais nous ne sommes pas tous impactés de façon égale. Les communautés pauvres et de couleurs sont les plus durement frappées par l’extraction d’énergies fossiles, mais aussi les plus négligées par l’Etat après les crises. Les personnes de couleurs sont également beaucoup plus susceptibles de vivre dans des zones vulnérables au climat. De façon similaire, la violence d’Etat devrait tous nous concerner, mais elle frappe prioritairement les jeunes hommes noirs. Ceux parmi nous qui n’en sont pas victimes doivent réussir à comprendre qu’ils ne vivrons probablement jamais un tel niveau de diabolisation. C’est de ce genre de solidarité dont nous avons besoin pour construire un réel pouvoir populaire – le genre de pouvoir qui se dresse sans faillir en travers des injustices, et nous permet de gagner nos batailles en nous soudant les uns aux autres. C’est un travail difficile. Cela demande de l’écoute et de la coopération avec des organisations pour la justice raciale. Cela demande de l’introspection, de remettre en question ce qu’on nous a appris, et de soigner les blessures intimes de l’oppression. Cela demande de la part des organisateurs climatiques de reconnaître et de comprendre que notre cible n’est pas seulement le carbone dans le ciel, mais aussi les inégalités de pouvoir sur la terre ferme. Beaucoup de gens ont pointé le besoin, dans le mouvement climatique, de comprendre nos disparités de pouvoir interne : entre les organisations mainstream, et les organisations populaires (grassroots), entre les blancs et les personnes de couleurs, entre le Nord et le Sud. Nous devons les prendre en considération si nous voulons vraiment que les meneurs de ce mouvement soient à l’image du monde que nous voulons : unis et à égalité dans la diversité. Nous en avons besoin pour gagner. Les événements de Ferguson offrent une opportunité importante si vous êtes un organisateur climatique : celle de regarder autour de vous, et vous demander ou ces “personnes de couleur” sont. C’est l’opportunité de vous demander si cette question vous tient vraiment à cœur, et si vous êtes prêt à fournir l’effort, la solidarité et l’apprentissage qu’il faudra pour apporter plus de “diversité” à notre mouvement. Personnellement, je pense que le mouvement climatique est prêt pour ce défi nécessaire.
Ce n’est pas accidentel, c’est institutionnel, et c’est enraciné dans l’histoire. Je ne dirai jamais assez combien c’est important pour moi, en tant que militant noir pour la Justice Climatique, et pour ma communauté, de voir le mouvement climatique montrer sa solidarité avec les habitants de Ferguson, et avec les communautés noires du pays entier, qui ne rêvent que de Justice. D’autres mouvements ont sauté le pas : travailleurs, LGBTQ, et mouvements pour les droits des migrant ont tous pris position très clairement en disant qu’ils soutenaient la communauté noire. Les menaces qui visent la dissidence civile sont des menaces pour nous tous. Nous avons déjà vu ce genre de violence policière militarisée dans le mouvement environnemental : pendant les manifestations de 2003 contre la Free-Trade Area of The America, le Global Justice Movement a du faire face pour la première fois à des tanks de la police, dans les rues de Miami. Et c’est juste un exemple.
C’est déjà arrivé à nos mouvements avant, et ça arrivera encore. Comme James Baldwin disait : “S’ils viennent pour vous le matin, ils viendront pour vous la nuit”. C’est pourquoi nous devons compter sur la solidarité et les alliances. L’industrie des énergies fossiles adorerait nous voir isolés dans la croyance selon laquelle nous pouvons gagner chacun de notre côté sur des “problèmes séparés”. Il est temps maintenant pour le mouvement climatique de nous montrer – de montrer que les communautés noires aux Etats Unis, et n’importe quelle autre communauté, ne sont pas “les autres” ! Il y a encore énormément à apprendre sur comment se rassembler, mais nous avons déjà commencé à sentir comment nos luttes sont liées entre elles à leurs racines. Si nous savions déjà tout sur comment naviguer dans la crise climatique et écologique, nous aurions déjà pris le bon cap. Il est temps maintenant pour nous d’écouter la sagesse des mouvements qui co-créent le monde dans lequel nous voulons tous vivre. A mesure que les crises s’intensifient et que le changement climatique s’aggrave, nous ferions bien de soit nous attendre à beaucoup plus de violence d’Etat et de répression, soit de nous organiser maintenant pour l’éviter.
La première étape pour comprendre est d’écouter. La seconde est de creuser. Je pourrais vous parler toute la journée d’analyses stratégiques brillantes et de leaders qui ont émergés dans les communautés historiquement oppressées. Je pourrais vous parler… mais il n’y a qu’une seule façon d’arpenter le chemin qui permet de comprendre l’importance de la solidarité : il faut marcher par soi-même. Ne ratez pas ce voyage unique. Ne ratez pas cette opportunité faire grandir notre pouvoir collectif. Si nous nous adaptons à la crise climatique et développons notre résilience, ce sera parce que nous aurons suffisamment compris nos ennemis et développé notre pouvoir collectif pour les faire chuter et faire grandir notre vision. Prenez un moment pour lire les demandes des Dream Defenders, des Freedomside, et de Organizing Black Struggle. Renseignez vous sur la solidarité et les alliances inter-raciales, identifiez les ressentis anti-noirs dans vos espaces. Prenez un moment, aujourd’hui, pour réfléchir à comment nous devrions vraiment affronter la crise climatique. Demandez vous si vous êtes prêt à emprunter ce long chemin, et entreprendre cet immense travail.
Je crois en nous.
J’ai la chance d’entendre – au milieu du vacarme de ma colère, de mes frustrations, de ma peine, de ma détermination, de ma fatigue – un appel plus puissant que les autres : Je crois en Nous. Se battre pour le climat demande beaucoup de courage, et je suis en permanence inspiré par la capacité de mes collègues et camarades à prendre en compte toutes les contradictions, la complexité et le poids de la réalité pour s’attaquer au problème. Je suis exalté par l’alignement et l’approfondissement des mouvements inter-sectoriels dont j’ai été témoin ces dernières années. Plus nous nous autorisons à être complexes (et moins à l’aise), plus les choses deviennent en réalité simples : nous sommes tous dans le même bateau, et nos combats sont liés. Nous ne savons pas tout, mais ensemble, nous en savons assez.