Par Majandra Rodriguez Acha, traduit de l’anglais par Clémence H.

 

Réflexions pour la société civile mobilisée contre la crise climatique

Quand nous parlons de changement climatique et des pistes pour s’y attaquer, on s’appuie souvent sur deux concepts ou champs d’actions : la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et l’adaptation aux impacts que nous ne pourrons pas empêcher.

Dans le contexte des négociations climatiques internationales (COP), il est facile pour la société civile de se focaliser sur la crise climatique avec cet angle “atténuation et adaptation” et ses aspects techniques, en apprenant par coeur des acronymes et des chiffres, en évoquant les solutions pour réduire des giga-tonnes de dioxyde de carbone ou des concentrations de parties par million, et souvent, en mettant en priorité la recherche de solutions globales, technologiques, etc.

Ce langage technique nous permet de comprendre, communiquer, influencer et générer des propositions d’action dans le cadre de politiques nationales et internationales. Mais dans ce contexte, il est crucial de reconnaître que chaque proposition technique, chaque mécanisme d’atténuation, chaque mesure d’adaptation a un impact. Révèle une position. Dans un monde et un système marqués par des rapports de force historiques, il va nécessairement profiter à certain-e-s et pas d’autres. Il est nécessaire de reconnaître, expliquer et questionner ces dynamiques en introduisant nos propres termes au débat : avec un discours politique clair, prenant en compte ces rapports de pouvoir et la question de la justice.

Si le monde de l’atténuation et de l’adaptation n’est pas neutre, nos approches ne le sont pas non plus. Les positions que nous prenons en tant qu’organisations de la société civile ont un contexte et une dimension historique, tout comme les personnes qui ont lutté pour les construire. TierrActiva au Pérou publie ce premier article comme introduire le sujet mais aussi pour reconnaître l’importance de deux concepts clef dans notre positionnement politique : la justice climatique et l’intersectionnalité.

 

Qu’est-ce que l’intersectionnalité ?

 

L’intersectionnalité se focalise sur les mécanismes par lesquels des catégories diverses telles que le genre, la race, la classe sociale, les handicaps, l’orientation sexuelle, la religion, et d’autres aspects de nos identités interagissent à différents niveaux, contribuant à la discrimination, l’exclusion, les inégalités sociales, l’injustice systémique.

Avoir une approche intersectionnelle a pour but de rendre visible et traiter les différents privilèges et oppressions que nous avons tou-te-s, afin de construire un mouvement plus juste, plus inclusif et plus cohérent. Le concept nous vient de Kimberlé Crenshaw en 1989, dans le contexte des luttes des féministes noires aux USA.

 

Quel lien entre intersectionnalité et justice climatique ?

Au cours des dernières années, des organisations de justice climatique autour du monde ont adopté un angle intersectionnel, avec des défis et succès différents. La citation ci-dessous montre en quoi l’intersectionnalité est pertinente pour ce mouvement :

 

“Il n’y a pas de lutte à problème unique, car nous ne vivons pas des vies à problème unique. » Audre Lorde

“Il n’y a pas de lutte à problème unique, car nous ne vivons pas des vies à problème unique. » Audre Lorde

 

“Dans le mouvement de la justice climatique, une analyse intersectionnelle permet d’expliquer pourquoi nous ne pouvons pas lutter pour une version plus verte, plus propre, de ce système en réduisant les émissions, en mettant un terme à la déforestation et en initiant la transition vers les énergies renouvelables telles que l’éolien et le solaire. L’effondrement de nos écosystèmes et les désastres tels que les ouragans et les marées noires ont toujours impacté certaines populations plus que d’autres. Souvent, ce sont ces mêmes communautés qui ont un accès moindre aux ressources, telles que le logement, qui les aideraient à survivre la dévastation économique qui suit un effondrement écologique. (…)

Nous devons nous souvenir, l’intersectionnalité n’est pas que structurelle. Elle est aussi personnelle. La plupart d’entre nous vivons avec différentes couches de privilèges et d’oppressions. En tant que femme migrante non-blanche née dans une famille ouvrière, je peux comprendre ce que c’est de vivre en première ligne de différentes oppressions, mais j’ai aussi le privilège économique et social de mon éducation universitaire, d’être en partie blanche, et bénéficie de l’accès à la classe moyenne d’une partie de ma famille. Ignorer ces différences bien réelles permet de laisser les oppressions structurelles perdurer sans obstacle, en minimisant, réduisant au silence et invisibilisant certaines voix.

A une échelle plus large, nous devons apporter des ressources et un accès à celles et ceux qui n’en ont pas, sans entrer dans une logique de caution. Les militant-e-s doivent cesser de prétendre rendre leur pouvoir aux personnes marginalisées, comme si elles en étaient dépourvues. ll leur faut s’éloigner des projecteurs et prendre moins d’espace, pour reconnaître que ces communautés disposent déjà de leur propre pouvoir. C’est aussi comprendre nos propres identités, comprendre les situations où nous tirons bénéfice du système et celles où nous en sommes victimes, et assumer notre responsabilité pour les différentes couches de privilège dont nous bénéficions dans notre vécu. Les organisations doivent être conscientes des inégalités qu’elles perpétuent, surtout en terme d’accès aux ressources et au marché du travail dans le secteur des ONG. Ce travail implique que nous devons nous engager à travailler plus lentement, en dépit de l’urgence, pour assumer nos responsabilités quand des dynamiques destructrices se révèlent.”

Henia Belalia

 

Qu’est-ce que la justice climatique ?

La justice climatique est une position plus répandue et plus connue que l’intersectionnalité au sein de mouvements climatiques, cependant, pour cette raison, le terme peut désigner des objectifs différents et contradictoires. Voici des idées clef de ce que représente la notion de justice climatique selon les groupes principaux qui l’ont développée dans le contexte des négociations climatiques : des groupes et réseaux d’associations locales comme Climate Justice Alliance, Climate Justice Now! et The Global Campaign to Demand Climate Justice.

Le mouvement pour la justice climatique a pour but de s’attaquer aux inégalités et discriminations générées ou renforcées par les impacts du changement climatique.

Ainsi, l’approche de la justice climatique met au centre les populations particulièrement vulnérables aux impacts du réchauffement. Dans le même temps, la justice climatique vise à reconnaître les responsabilités communes mais différenciées entre pays ayant différents niveaux de développement, en exigeant que la dette historique des plus grands émetteurs de CO2 soit honorée. Par exemple, cela implique de différencier ce que chaque pays doit aux fonds internationaux sur l’adaptation au changement climatique.

Dans le contexte des négociations de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC), ou les COPs annuelles, des groupes et pays qui travaillent sur la justice climatique s’opposent à l’augmentation de 2°C comme limite au réchauffement, et proposent 1,5°C. Pourquoi ? En général, parler d’une moyenne mondiale ignore les impacts différenciés qu’une moyenne a sur les populations les plus vulnérables – une augmentation de 2°C correspond à un réchauffement de 3°C ou plus dans des régions africaines, avec des conséquences dévastatrices, et implique la disparition des îles du Pacifique.

Un autre aspect clef du mouvement pour la justice climatique est le rejet de fausses solutions au changement climatique, et le soutien aux alternatives et solutions qui s’attaquent à la racine du problème. Les fausses solutions sont les réponses au réchauffement qui se basent sur des solutions technologiques miracles et des solutions de marché, par exemple le marché carbone. Les crédits carbone se basent sur le principe que certaines entreprises peuvent payer pour continuer à polluer, alors que les crédits financent des initiatives de conservation à l’étranger. Comme cela a été montré à de nombreuses reprises, cette logique simplifie une réalité climatique et environnementale complexe, perpétue un modèle industriel intenable, donne des compensations fausses, et nous détourne de ce nous devons réellement faire pour s’attaquer au problème.

Une réponse efficace ne peut pas dépendre de la cause de la crise climatique – la crise systémique – les fossiles, l’industrie, la recherche de profit, et le marché. Par exemple, concernant l’adaptation et l’atténuation au changement climatique dans le champ de l’agriculture, le mouvement de justice climatique de la Confédération Paysanne propose :

“Les paysans et systèmes d’agricultures, de chasse, de pêche et d’élevage indigènes qui préservent la Terre et l’alimentation, doivent être soutenus par des financements et ressources publics sans condition. Des mécanismes de marché, comme les crédits carbones et services environnementaux, doivent être abandonnés immédiatement et remplacés par de vrais systèmes de mesures. Mettre un terme à la pollution est un devoir que personne ne devrait pouvoir contourner en achetant des droits à détruire. (…)

Nous rejetons et dénonçons “l’économie verte” comme nouveau masque pour cacher les niveaux croissants d’avidité des entreprises et l’impérialisme alimentaire dans le monde, comme façon brutale de verdir le visage du capitalisme, qui ne fait qu’imposer des fausses solutions telles que l’agriculture “climato-intelligente” (climate-smart), les marchés de carbone, REDD, la géo-ingéniérie, les OGM, les agro-carburants, le biocarbone, et toutes les solutions de marché à la crise environnementale.

Notre défi est de remettre en place un nouveau rapport à la nature et entre nos communautés. C’est notre devoir et notre droit, et ainsi nous continuerons de lutter, et appelons à continuer à lutter, pour la mise en place d’une souveraineté alimentaire, une réforme agraire, et le rétablissement de territoires indigènes, pour mettre un terme à la violence du capitalisme et pour restaurer les systèmes de production paysans et indigènes.  

 

Nous ne pouvons encourager les fausses solutions.

Nous ne pouvons encourager les fausses solutions.

 

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