Par Cansin Leylim Ilgaz

L’année 2016 a été particulièrement éprouvante pour le peuple turc, qui ne sait plus à quoi s’attendre, ni comment s’y prendre dans le climat actuel.

Je me souviens avoir manifesté au milieu de la place Taksim en 2011. Installés dans des tentes, nous avions alors occupé la place, exigeant des réponses du premier ministre de l’époque quant à la politique énergétique. Même après 12 jours passés là-bas, je n’avais pas été arrêtée. Mais beaucoup de choses ont changé en 5 ans. Aujourd’hui, les manifestants s’exposent à une arrestation quel que soit l’endroit et quelle que soit la raison de leur action. Je ne sais même pas ce qui est risqué et ce qui ne l’est pas. Ce dont je suis sûre, en revanche, c’est que la poursuite des politiques énergétiques fondées sur les combustibles fossiles est le plus grand risque et la plus grande menace pour notre survie, pour la survie sur cette planète. Je suis aussi pratiquement certaine que je n’irai jamais vivre sur Asgardia ni sur Mars. Il n’y a donc pas de planète B pour moi ! Je ne m’étendrai pas trop sur les événements qui ont secoué mon pays ces dernières années, parce que, même si je me limitais aux derniers mois ou aux dernières semaines, je dépasserais de loin la longueur initialement prévue de mon article.

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Vue d’Aliağa tirée du film Désobéissance (Disobedience, en anglais)

 

Je vais plutôt vous parler de la dichotomie d’Aliağa. Aliağa est une ville turque située dans le golfe d’İzmir. C’est incontestablement l’une des plus belles régions de Turquie. Mais en dépit de sa beauté, de son importance historique et de sa nature, Aliağa a été condamnée à subir les conséquences du charbon et des combustibles fossiles pendant des décennies. Le gouvernement turc a prévu de construire plus de 70 centrales à charbon dans le pays, dont 4 à Aliağa, en plus de celle qui s’y trouve déjà et de plusieurs autres complexes industriels. Toutes les implantations proposées sont situées non loin de la ville antique de Kyme, un site archéologique classé au rang des priorités en matière de conservation, ce qui signifie que toute construction ou intervention ne peut être autorisée qu’à des fins de recherche ou de conservation. La sublime forêt de Foça est défigurée par un barrage de cendres de charbon où sont déversés tous les déchets de la zone industrielle toute proche. Il est prévu d’étendre encore ce barrage grâce à l’acquisition de l’oliveraie située juste à côté. Les combustibles fossiles empoisonnent l’air, l’eau, le sol, la faune et la flore, transformant la ville en terre abandonnée.

Aliağa résiste depuis les années 80. La plus grande – et probablement aussi la première – manifestation organisée en Turquie pour protester contre l’implantation d’une centrale à charbon remonte à mai 1990 et avait consisté à former une chaîne humaine longue de 60 kilomètres. Par conséquent, cette dichotomie entre la beauté d’Aliağa et les projets fossiles prévus là-bas est associée à un autre phénomène : la fantastique résistance de la population locale.

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Depuis lors, près de 200 nations, dont la Turquie, ont signé l’accord de Paris visant à mettre un terme à l’ère des combustibles fossiles et les scientifiques n’ont de cesse de rappeler qu’il est crucial de respecter les engagements entérinés dans cet accord et de limiter le réchauffement climatique à 1,5° C. Afin de pousser la Turquie à reconnaître cette réalité, plusieurs milliers de personnes de la société civile se sont rassemblées à Aliağa en mai 2016 pour porter la lutte à un autre niveau..

Nous nous faisons appeler l’Initiative contre les combustibles fossiles. Aliağa n’est pas différente d’Amasra, de Bursa ou d’İskenderun, où il est également prévu d’installer de nouvelles centrales à charbon. Les villes sont nos maisons, les forêts nos poumons,… c’est de notre survie qu’il s’agit ! Nous ne laisserons pas les entreprises charbonnières détruire nos moyens de subsistance en construisant ces centrales d’un autre siècle autour de nos maisons et sur notre terre. Pour aider la Turquie à se libérer du charbon, nous avons décidé d’écrire un nouveau chapitre dans l’histoire de son évolution vers un avenir durable.

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Et nous avons déjà commencé ! Aliağa (et le reste de la planète) a remporté une première victoire historique 6 mois après la large mobilisation nationale du mois de mai. Sans surprise, la société derrière plusieurs des projets de combustibles fossiles à Aliağa (la Société publique pétrolière de la République d’Azerbaïdjan, SOCAR) n’a pas déclaré publiquement qu’elle abandonnait le projet STEP. Elle s’est contentée de l’annoncer à ses financiers en août 2016, après plusieurs demandes d’information sur les conséquences environnementales, sociales et culturelles du projet adressées aux financiers par nos partenaires de Bankwatch et de Re:common. SOCAR ne s’est toujours pas exprimée à ce sujet, mais ça n’a pas vraiment d’importance. Nous ne nous attendons pas à ce que les compagnies impliquées dans la production de combustibles fossiles annoncent elles-mêmes la fin de leur ère. Nous nous en chargerons pour elles.

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Aliağa et la Turquie peuvent maintenant célébrer cette victoire. Les défenseurs de la vie en Turquie continueront de s’opposer à la cupidité de l’industrie fossile afin de faire émerger un système énergétique décentralisé, propre et efficace pour chacun d’entre nous et non des dizaines de centrales à charbon polluantes qui asphyxient les populations locales et répandent la mort. Nous nous sentons moins seuls lorsque nous savons que vous agissez de la même façon pour protéger notre maison commune, la Terre, et que nous sommes tous solidaires les uns avec les autres. Nous n’avons qu’une seule planète et nous continuerons à nous battre pour elle. C’est pourquoi nous nous unissons au mouvement mondial sur le changement climatique.

 

 

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