Alors que des événements climatiques sans précédent se déchaînent partout sur la planète, nous avons eu de bonnes nouvelles.
La semaine dernière, TransCanada a demandé une suspension de 30 jours de l’évaluation d’Énergie Est pour étudier la viabilité de son projet après que l’Office national de l’énergie (ONÉ) — qui est en charge d’évaluer la proposition — ait annoncé que les impacts sur les changements climatiques seraient inclus dans l’évaluation.
Prendre en compte l’impact d’un projet pétrolier sur les changements climatiques en ce début de 21ième siècle peut sembler comme une évidence. Mais jusqu’à il y a à peine un mois, l’ONÉ ne prévoyait pas de se pencher sur la contribution totale en émissions de gaz à effet de serre de ce projet massif de 4 500 km transportant 1,1 million de barils par jour de pétrole de l’Alberta jusqu’au Nouveau Brunswick. Pourtant, l’augmentation de la production de pétrole des sables bitumineux associé à cet oléoduc aurait le même effet sur le climat que 68 centrales de charbon.
Une évaluation par la population
Maintenant que les impacts sur le climat sont pris en compte, TransCanada semble remettre en question Énergie Est. Comment en est-on arrivé là? Comme beaucoup d’autres personnes ces dernières années, j’ai passé de nombreuses heures — aussi bien en bénévole que dans mon travail — à soutenir l’opposition à ce projet.
Pour commencer au début, on se rappellera qu’en 2012, Stephen Harper avait changé un vaste nombre de lois environnementales avec son projet de loi dit mammouth omnibus C-38. Il avait alors modifié les règles de l’ONÉ notamment en rendant la participation du public plus difficile, en accélérant les échéanciers au profit de l’industrie, et en accordant au bureau du premier ministre le dernier politique mot quant au feu vert pour ces projets. Avec un historique toujours en faveur de l’industrie, l’ONÉ a perdu toute crédibilité aux yeux du public et des experts.
Peu de temps après que le projet Énergie Est ait été déposé à l’ONÉ une campagne partagée par plusieurs organismes a été lancée : elle exigeait que l’impact sur les changements climatiques soit inclus dans l’évaluation du projet de TransCanada. Outre cette campagne, demander l’inclusion du climat a été une demande martelée sans cesse par de nombreux groupes environnementaux et politiciens au fil des années.
Ce sont d’abord 100 000 personnes qui ont signé des pétitions demandant une évaluation climatique d’Énergie Est. Puis, près de 2 000 personnes se sont inscrites comme intervenantes auprès de l’ONÉ pour parler spécifiquement du climat — alors exclu des questions acceptées — pendant le processus d’évaluation. Quand est venu le temps des portes ouvertes et audiences, beaucoup ont préparé des interventions sur l’impact de l’oléoduc dans leur communauté, et beaucoup se sont présentés pour se faire entendre à l’extérieur des séances.
Finalement, après que Justin Trudeau ait été élu en promettant une réforme complète de l’ONÉ, des groupes de part et d’autre du Canada se sont mobilisés pour livrer une injonction symbolique aux ministres fédéraux afin de garder la pression sur le nouveau gouvernement pour qu’il mette en place de nouvelles règles qui prennent en compte les changements climatiques, mais aussi qui facilitent la participation du public et respecte le consentement des Premières nations.
Deux ans plus tard, l’impact d’Énergie Est sur le climat est inclus dans l’évaluation du projet et TransCanada met les freins sur son méga-pipeline. Ce n’est pas gagné — mais c’est une victoire.
Pipeline vs. climat
Grâce à une mobilisation sans relâche, la refonte d’une ONÉ illégitime est devenue un enjeu-clé des élections fédérales de 2015, et l’évaluation d’Énergie Est a été maintes fois suspendue, modifiée, redémarrée, et dissoute (on se souviendra du scandale impliquant l’ancien premier ministre québécois Jean Charest et les commissaires de l’ONÉ). En exigeant que l’impact des oléoducs et le climat aillent de pair — et de surcroît dans une conjoncture économique défavorable à la croissance du pétrole en Alberta et faisant face à des délais coup sur coup — le projet de TransCanada est devenu essentiellement non viable.
Pourtant, évaluer l’impact sur les changements climatiques d’un tel projet n’a rien d’extrême : si une compagnie propose un projet qui engendre des quantités monstres de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, alors ce projet sera évalué selon les standards établis pour assurer un avenir sécuritaire et durable sur la planète pour tous, sous le seuil de 1.5°C de réchauffement.
C’est tout simplement le coût réel des méga-projets d’énergie fossile, conforme à la science du climat.
Mais imaginons quelles seraient les manchettes à propos d’Énergie Est s’il n’y avait pas eu des milliers de personnes qui se sont organisées et exprimées sur ce projet?
Depuis plus de trois ans, cet oléoduc qui était censé amener au Canada « l’unité du pays » a été une occasion de bâtir une solidarité exceptionnelle entre groupes d’opposition à travers le pays. Un réseau composé de groupes étudiants, religieux, environnementaux, de syndicats, entreprises locales, agriculteurs, travailleurs, maires de municipalités et évidemment de leaders des communautés autochtones, a vu le jour.
Parmi les événements inspirants — petits et grands — qui mériteraient tous d’être nommés, je retiens des actions à l’échelle régionale auxquelles j’ai pris part : le rassemblement au Nouveau Brunswick dans la petite communauté de Red Head où l’exportation pétrolière aurait eu lieu, la marche de 125 km pour l’eau des femmes autochtones Anishinaabe au Manitoba, au Québec les multiples actions visant le port de Cacouna, la marche des peuples pour la Terre Mère le long du pipeline, ainsi que la naissance de Coule Pas Chez Nous. Une véritable effervescence où on sentait qu’ensemble les citoyens avaient un poids réel dans l’avenir de ce projet.
Évidemment tout n’est pas encore joué, et le sort d’Énergie Est est lié à celui des autres projets de pipelines et plus largement à l’avenir des sables bitumineux au Canada. TransCanada s’apprête peut-être à renoncer définitivement au projet ou peut-être qu’elle continuera avec l’évaluation. Mais une chose est certaine, nous continuerons à soutenir des stratégies qui fonctionnent pour faire contrepoids à ces projets géants — parce que ça fonctionne.
- Aurore Fauret